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Les randonnées pédestres d' EVASION CATALANE
27 novembre 2020

La place CASTELLANE. Une réserve archéologique ?

 

Castellane 2

 Les trois volées de marches montant à la place Castellane nous indiquent l'épaisseur des sédiments, alluvions et débris divers, dragués pour agrandir la nouvelle darse, et entassés là en 1845.                                                         

 Une petite visite à  La Place CASTELLANE nous entraîne dans une très longue histoire... (nous allons dépasser les 3 heures et les 20 kilomètres autorisés en ce 1er décembre 2020).

                           

                Cette vaste place dominant le port n’a pas toujours eu cette configuration plane et rectangulaire ! Qu’est-ce qu’il y avait avant elle ?

            C’est en 1845, en prévision pour l’année suivante du classement de Port-Vendres en port de Guerre (à l’égal de Toulon), que de grands travaux furent entrepris, notamment l’allongement sur 300 mètres de l’ancienne darse, qui se terminait jusque là au droit de l’actuelle Gare maritime. En 1845, la darse fut donc prolongée jusqu’au parking de l’actuel quai Joly.

             Les ingénieurs prirent alors la décision de faire d’une pierre deux coups : creuser la darse et, avec les déblais, créer la place Castellane. Exactement comme, un siècle auparavant, avait été effectué le dragage du vieux port dont les matériaux retirés  servirent à créer l’épaisseur de la  place de l’Obélisque.

         Aucune précaution de préservation des éléments archéologiques trouvés ou possibles ne fut  respectée, malgré les rapports de deux ingénieurs qui alertèrent par écrit leurs supérieurs sur la présence de vestiges antiques.

      L'un mentionne la présence dans les dragues d’"éléments de colonnes et de statues antiques" au milieu des alluvions et des débris divers remontés de la lagune bordant le nord et le sud de la presqu'île.

      L'autre indique que des fondations ou soubassements de très anciennes constructions sont encore visibles sur la bordure sud de cette presqu'île.  

     Ces tronçons de colonnes, ces statues ou parties de statues antiques, ces éléments de monuments antiques ont été mentionnés, mais n'ont pas été préservés en 1845, car l'heure était à l'urgence pour finir le déblaiement de la lagune depuis la presqu'île jusqu'à rencontrer le roc du bas de la colline, c'est à dire jusqu'au quai Joly d'aujourd'hui.

      Avec eux, sans doute d'autres vestiges de plus de 20 siècles d’Histoire furent alors dragués sur les 300 mètres de la longueur de la nouvelle darse, le port de plaisance actuel, furent charriés, hissés et entassés pour créer la  place Castellane d’aujourd’hui. Son sous-sol renferme donc vraisemblablement des vestiges des antiques habitations et monuments, comme des temples, des cités qui précédèrent Port-Vendres. Peut-être des vestiges de la phénicienne Rus-anona, de la grecque  Aphrodision-Pyréné et de la romaine Portus Veneris ? Dans son ouvrage « Pyréné. La Cité et l’Île retrouvées », Ed. du Cap Béar 2019, le Pr J.C. Bisconte de Saint-Julien apporte plusieurs éléments de réponses et met à bas des théories récentes, farfelues et parfois mensongères, qui minimisent le rôle de Port-Vendres dans l'Antiquité.

          Il arriva un jour, fin 1845, où la place Castellane fut nivelée, comblée par tout ce qui avait été enlevé  sur environ la moitié de la lagune qui se transformait peu à peu en nouvelle darse, et tout cela entassé et retenu derrière l'imposante muraille et son escalier monumental créés à cet effet. Mais il restait l'autre moitié de la lagune à draguer et à évacuer pour que la darse en eau profonde arrive jusqu'au quai Joly d'aujourd'hui ! Une ligne de chemin de fer fut alors créée, avec percement d'un tunnel, pour atteindre la plaine de Paulilles. Et la seconde moitié des alluvions, des sédiments, des débris, des vestiges enfouis dans la lagune, fut transportée, une partie par wagons sur Paulilles, une autre partie par charrettes au sortir de Port-Vendres vers Banyuls au-dessus de la gare SNCF. Ainsi, les traces archéologiques du lointain passé gréco-romain de Port-Vendres, ces "éléments de colonnes et de statues antiques", ceux qui ont été signalés et tous les autres, passés dans l'urgence par pertes et profits, ont-ils été dispersés en 1845 dans au moins trois sites de Port-Vendres. Sans que l'on puisse savoir de façon précise dans lequel se trouvent enfouis les plus intéressants et les plus nombreux de ces témoignages archéologiques du sanctuaire mentionné par les Anciens. Un sanctuaire suffisamment fameux pour avoir été désigné comme marquant la frontière entre l'empire romain et les pays barbares...  

   

 

       Une réserve archéologique sous la place Castellane ?

Cette grande place qui domine le port actuel dans sa configuration plane et rectangulaire fut créée sous la responsabilité du général Castellane fils. C’était sous Louis-Philippe, le dernier roi de France.

Le général de Castellane, Boniface de son prénom, naquit en 1788 et mourut en 1862. Il était fils du général de Castellane (lui aussi Boniface de son prénom) qui connut la Révolution et l’Empire puisqu’il naquit en 1758 et mourut en 1837. C’est le fils Castellane qui, après avoir été chef militaire de la région de Perpignan, eut la responsabilité de faire agrandit la darse du port de Port-Vendres. Port-Vendres devait rapidement pouvoir accueillir les plus gros vaisseaux et la plus grande flotte de guerre française pour pouvoir être classé comme port de guerre à l'égal de Toulon.

     Avant cette place, ce devait être le bas de la colline, qui descendait jusqu’au rivage, fait d'une lagune, d'un marécage. On peut raisonnablement imaginer que les premières habitations du site, du temps des Grecs et des Romains, devaient être  étagées face au port sur cette colline et au  bord de la route littorale reliant la Gaule à l’Ibérie « en suivant le rivage » (Strabon, géographe et historien vivant de  63 avant J. C. à 25 après J. C.). Ce même Strabon précise que la frontière littorale de la Gaule est marquée par "le sanctuaire de Vénus situé près du promontoire des Pyrénées" (le cap Béar d’aujourd’hui). La route littorale, appelée par les Grecs ''route hérakléienne" prit le nom de "route herculéenne" à l'époque romaine.

 

              Avant 1845, et à l’emplacement de cette nouvelle darse, depuis le glacis côté sud de la Gare Maritime jusqu’au quai Joly, les alluvions charriés par le torrent du val de Pintas avaient comblé au cours des millénaires une sorte de marécage, de lagune. La largeur de cette lagune correspondait à la distance entre le pied de la colline (sous la place Castellane actuelle) et l’île qui, par l'apport des alluvions, et peut-être avec l'aide humaine, fut transformée en presqu’île, sur laquelle ont été construits en 1930 les bâtiments de la Gare maritime.

        C’est ainsi que les alluvions du torrent ont fait de l’antique île du milieu du port une presqu’île de bord de lagune. Jusqu'à tout récemment, les méthodes scientifiques n'avaient encore jamais été sollicitées pour apporter ces éléments géologiques prouvant l'antériorité de l'île sur la presqu'île. C'est pourquoi ni en 1700 ni en 1845 ni en 1929 les responsables des travaux ne firent de relation entre d'une part les écrits des historiens de l'Antiquité mentionnant "le sanctuaire de Vénus", d'autre part l'île ayant porté ce sanctuaire indiquée sur la Table de Peutinger (nous la présenterons plus bas) et copiée depuis l'époque romaine, et enfin la presqu'île, pour eux sans intérêt, qu'ils faisaient disparaître sans la moindre précaution sous le béton. Ils exécutaient les travaux commandés en urgence malgré la remontée d'éléments de colonnes et de statues gréco-romaines dans les dragues. L'urgence du moment était la finition du port de guerre, et non l'étude du passé de Port-Vendres. Colonnes et statues servirent de déblais.

         L'idée communément admise, et toujours véhiculée, était que le sanctuaire de Vénus mentionné dans les écrits des Anciens devait se trouver sur une des falaises bordant le port, par exemple à l'anse Gerbal; ou même à la Fajouse. D'autres, confondant Collioure et Port-Vendres, prétendaient que l'antique ''Pyrène'' était Collioure, Port-Vendres n'étant rien et n'ayant même jamais rien été.

      Avec les constructions successives du fortin des Espagnols au 17è siècle, puis du bastion et de la tour de guet de Vauban au 18 è s., puis de la Gare maritime au 20 è s., sur l'antique île ayant porté le sanctuaire de Vénus, les traces du passé avaient disparu. Un crime presque parfait. Sauf qu'un fameux détective, le Pr J. C. Bisconte, reprit obstinément le fil de l'enquête depuis le début et, à l'aide des moyens scientifiques les plus modernes, nous indique avoir retrouvé l'île du sanctuaire de Vénus et la cité-frontière des textes anciens.

      Les cartes anciennes qu'il a retrouvées et qu'il publie dans son livre montrent comment cette lagune, qui existait entre le quai Joly et la Gare maritime, bordait deux anses naturelles, de part et d’autre de l’île primitive (aujourd'hui sous la Gare maritime), anses  propices à être des abris marins bien protégés. Ces deux anses, aujourd'hui disparues mais parfaitement dessinées sur les cartes anciennes, furent vraisemblablement les ports primitifs des marins de l’Antiquité, au fond de cette longue déchirure de la côte qu’est l’abri naturel de Port-Vendres. La route herculéenne ‘’suivant le rivage’’ depuis Narbonne contournait ces deux anses du fond du port, passant entre le pied de la colline et l’île du port.

 

       Ces deux abris du fond du port n’étaient pas les seuls avantages marins de l’antique Port-Vendres. Trois autres abris de cette vaste anfractuosité naturelle au pied des Albères pouvaient être utilisés pour sécuriser les bateaux à l'ancre en fonction des vents :

  • l’abri du ‘’vieux port’’, utilisé dès l’Antiquité, mais sans aménagements ni structures : on y mouillait à l’ancre. Il bénéficiera le premier d’un quai décidé par Vauban au début du 18 è siècle et qui fut aménagé lors de la création de la place de l’Obélisque juste après la Révolution. La colline de la Miranda devait abriter les premières habitations des pêcheurs et utilisateurs de ce quai.
  • La très vaste anse appelée aujourd’hui des « Tamarins », avant qu’elle soit d'abord naturellement puis volontairement comblée et qu’y soit créés l’aire pour les caravanes, la route vers le cap Béar, et l’ancien hôtel des ‘’Tamarins’’. Les navires de l’Antiquité pouvaient se mettre à l’abri des vents d’Est et Sud-est dans cette vaste anse au pied du mont Béar. En 2001, des recherches archéologiques ont permis de découvrir des éléments de pierre sculptée et divers matériaux (aujourd'hui entreposés  sous l'appellation de ''Port-Vendres 9'' dans le local communal de l'ARESMAR à Port-Vendres). Les navires à l’ancre dans le port ayant pu être  drossés sur cette côte Est par coups de Tramontane, ce serait une bonne chose que les abords de cette anse puissent bénéficier de nouvelles recherches sous-marines alors qu’ils peuvent recéler des épaves ou traces de naufrages.
  • Et l’anse Gerbal, à l’entrée de l’avant-port, où les navires pouvaient se réfugier lors des coups de boutoir de la Tramontane. Cette anse a été également comblée et aménagée au début du 20 ème siècle pour recevoir les bâtiments de l’ancienne Criée, de la Poissonnerie et d’une aire de carénage. C’est lors de ces travaux de comblement que fut remontée des fonds, en 1974, la carène d’un petit cargo du 4 è siècle de notre ère qui, victime d’une voie d’eau colmatée par des voiles, était venu s’y réfugier en prévision de sa réparation, mais où finalement il coula. Cette rare découverte archéologique, la carène de ce bateau, se trouve encore dans des caisses entreposées dans un hangar de Paulilles ! https://www.aresmar.fr/les-chantiers-de-l-aresmar/et-aussi-par-d-autres-en-terre-catalane/port-vendres-1-anse-gerbal/

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                Les travaux du Pr Bisconte nous invitent à penser  que sur l’ancienne île du port (à l'endroit précis où se trouve aujourd’hui la Gare Maritime), île qui finit par être reliée à la lagune par les alluvions charriés par le torrent du val de Pintas, ont pu être édifiés le temple d’Astarté (déesse des Phéniciens, premiers visiteurs du site), puis celui d’Aphrodite (du temps des marins et négociants grecs), enfin le sanctuaire de Vénus (avec l’arrivée des Romains, un siècle avant notre ère), avec leurs structures d’accueil et leurs annexes.         

        Il est possible, selon lui, que les habitants de l’époque romaine (du premier siècle avant notre ère au 5 ème siècle de notre ère) étaient les successeurs des premiers habitants du lieu qui a pu d’abord être appelé Rus-anona (le premier comptoir, à l’époque phénicienne, du site qui deviendra Port-Vendres), puis Pyrène,  Aphrodision-Pyréné et Aphrodisias (du temps des Grecs), que les Romains appelèrent ‘’définitivement’’ Portus Veneris. 

        De tout cela il ne reste rien en vestiges et éléments matériels : les historiens travaillent sur les maigres documents leur étant parvenus et font des conjectures en comparant notre site avec d’autres sites similaires sur le pourtour méditerranéen. Les "éléments de colonnes et de statues" remontés des fonds lors du dragage à proximité de l'ancienne île en 1845 ont servi de remblai au lieu d'être mis à l'abri et étudiés avant d'être exposés au public.  

              Cependant, un des documents les plus intéressants, mais qui fut négligé par tous les historiens  jusqu'à ce que le Pr Bisconte l'utilise à bon escient, est la carte appelée « Table de Peutinger », qui nous est parvenue comme étant la copie de dizaines de copies successives en quinze siècles d’une carte romaine qui fut peinte en l’an 2 avant le début de notre ère sur un mur d’un portique de Rome et figurant l’empire romain.

      Le général Agrippa qui commanda cette carte fixe avait besoin de voir où étaient les fleuves et rivières de l'empire conquis, les passages possibles dans les massifs montagneux, de voir les distances précises d'une ville à une autre, où étaient les possibilités de campements des légions et les structures d'accueil, les principaux sanctuaires, les frontières entre le pays déjà conquis (la Gaule) et celui à conquérir (l'Ibérie, pays des Barbares). La frontière sur la route littorale, "en suivant le rivage" depuis Narbonne, était "marquée par le temple de Vénus, au pied du promontoire des Pynérées" : l'île-sanctuaire de Portus Veneris, la seule qui put correspondre aux mentions des géographes de l'Antiquité, est ainsi indiquée sur la carte romaine. 

     Sur cette carte romaine, transmise de copies en copies manuelles depuis l'an 2 avant le début de notre ère jusqu'au 16 ème siècle (époque où Peutinger l'édita), les Pyrénées sont visibles, la ville d’Elne (Illibéris) est mentionnée, et une île, portant l'indication d’un bâtiment identique aux sanctuaires fameux de l’époque, apparaît nettement entre Elne et les Pyrénées : on en déduit que le sanctuaire de Vénus, frontière remarquable entre la Gaule et l’Ibérie, mentionné par les géographes et historiens de l’Antiquité, devait être sur cette île du port de Portus Veneris. Nulle part ailleurs dans notre région, entre Elne et les Pyrénées, se trouve une telle île, ni à l'est vers l'Espagne, ni à l'ouest vers Narbonne ! Portus Veneris est le seul site, au pied des Pyrénées, à avoir eu une île dans son port ! Et à conserver, dans son nom, transmis au travers des âges, depuis la présence romaine, le souvenir de la déesse romaine.

         Encore fallait-il que quelqu'un identifie cette île sur la carte ''romaine'' transmise jusqu'à notre époque, retrouve également à la Bibliothèque Nationale et chez les auteurs anciens les cartes et les descriptions de la situation de l'île portant le sanctuaire de Vénus, s'interroge sur l'évolution géologique du socle supportant aujourd'hui la Gare maritime et fasse des relevés scientifiques des contours de cette presqu'île et de cette ancienne île, s'indigne que des travaux de dérochement de ce socle aient eu lieu en 2019 sans davantage de précautions qu'en 1700, qu'en 1845 et qu'en 1929, malgré les lois protégeant maintenant les sites archéologiques, et que ce chercheur inspiré et têtu fasse bloquer par décision de justice une partie des déblais remontés des fonds en 2019 et entreposés depuis sur la plate-forme dépendant de la Gare maritime, en attente d'une décison politique.

       Il est vraisemblable que, dans cet important tas de débris dragués à la sauvette en 2019 (certains vestiges évidents comme des pierres taillées étant même volontairement, sur ordre, écrasés en cachette par les chenilles des engins portuaires, mais ayant pu être photographiés à l'insu des auteurs de ce vandalisme), se trouvent des éléments antiques, des pièces anciennes, lithiques ou métalliques, utiles pour mieux connaître le lointain passé de Port-Vendres. Et donc utiles pour mieux respecter Port-Vendres qu'il ne l'est aujourd'hui. Notre  fin limier a donné le nom évocateur de "Tombeau de Vénus" à ce tas de débris remontés du port. Un tas qui intéresse les archéologues et les historiens, en attente d'une décision politique au plus haut niveau.  

      

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Port-Vendres au 18 è s

 

           Cette carte (reproduite avec l’aimable autorisation du Pr J. C. Bisconte de Saint-Julien) figure page 58 de son ouvrage « Pyrène. La cité et l’île retrouvées » avec cette légende : « Le port au début du XVIII ème siècle. Le promontoire antique est visible avec sa multitude d’ilots (à gauche). Les deux bassins, de part et d’autre de l’île, sont en cours de comblement. »

        Sur la gauche, on voit effectivement la "multitude d'ilots" qui restent de l'ancien promontoire naturel ayant protégé le port, avant que l'érosion le ruine. Le môle actuel a été maçonné en s'appuyant sur ces ilots.

       Sur la droite, on voit nettement l’embouchure du torrent descendant du val de Pintas. Ce torrent  est aujourd’hui canalisé, souterrain et dévié, mais il a charrié durant des millions d’années les alluvions des pentes des Albères, réduisant l'île primitive en une presqu'île et constituant la large et épaisse lagune, le marécage qui a été dragué en 1845 sur 300 mètres pour allonger la darse. 

      A droite de cette île qui est bien visible sur la carte, se trouvent désormais la nouvelle darse (les 300 mètres de long du port de plaisance), le quai Joly et la place Castellane construite avec les déblais du creusement de la darse. Dans ces déblais, il peut y avoir des vestiges datant du Port-Vendres d’il y a plus de deux millénaires !

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            Selon des cartes de 1642, les Espagnols avaient érigé sur cette presqu'île une tour de guet au dessus d’un fortin protégé par des murs épousant le contour de l'île . Lors de son passage avant 1700, Vauban décrit cette presqu'île comme ayant « la forme d’un œuf », son sommet avoisinant les 15 mètres. Il y fit construire une redoute avec une tour de guet de section carrée, un ‘’mirador’’ pour surveiller l'entrée du port. Tout cela donc au même emplacement extraordinaire où, il y a plus de deux millénaires, lorsque l’île était au milieu du port naturel, les Phéniciens auraient fondé un sanctuaire à Astarté, les Grecs à Aphrodite, et les Romains à Vénus. Une île et un sanctuaire remarquables au point de  figurer sur la carte de l’Empire peinte à Rome en l'an 2 avant J. C., puis maintes fois copiée jusqu'à nous parvenir sous le nom de carte de Peutinger.

     

Tour de l'horloge

      En 1929, l'emplacement de premier choix de cette presqu'île et de son immense terre-plein face au centre du port, n'échappa pas aux appétits des promoteurs du port de commerce. Les murs de la  redoute de Vauban furent rasés, mais la tour de guet fut démontée et remontée 200 mètres au Sud (c’est l’actuelle Tour de l’Horloge dans la cour du bâtiment des Douanes), les hauteurs de l’île furent arasées pour pouvoir y couler le béton du glacis de l’actuelle Gare maritime. Pas davantage qu'en 1845, qu'en 1700, qu'en 1642, le souci d'étudier le fabuleux passé de cette presqu'île, et donc de respecter le patrimoine des Port-Vendrais n'effleura les bétonneurs pressés. Seul, le nom du « quai de la Presqu’île » leur échappa et nous est parvenu intact. Ce nom rappelle, de façon têtue, gênante peut-être pour certains, l’étonnant et lointain passé de ce qui fut le cœur de Port-Vendres il y a plus de deux millénaires. 

     L’histoire ne nous a pas rapporté si les sujets romains des premiers siècles de notre ère, des sujets soit habitant Portus Veneris soit y faisant escale, ayant opté pour le christianisme, refusant le polythéisme romain, l’adoration de l’empereur et le culte pratiqué dans les temples ‘’païens’’,  auraient détruit ‘’le sanctuaire de Vénus’’ et abattu les statues des anciennes divinités. Ni si les Wisigoths, ayant vaincu les Romains dès 418, et devenus maîtres de la Narbonnaise en 462, le restant jusqu’à l’arrivée des Arabes et de l’islam en 712, ont à leur tour détruit les signes de romanité. Ni si les Arabes en conquête selon le djihad, maîtres de la Narbonnaise de 718 à 759, ont effacé les traces des religions condamnées par l’islam, dans un port où ils se réfugiaient entre deux attaques et pillages par mer.  

     Mais il y a pire, car entre ces époques lointaines et la nôtre, la civilisation a, en principe, évolué. Les notions de "culture" et de culture historique ont été acquises par notre peuple et nous ont enrichis intellectuellement. Des lois de protection des sites archéologiques sensibles ont été votées. Or, en 2019 (il y a 2 ans !) les responsables de la Région et du Département, donc des autorités étrangères à Port-Vendres et à son territoire, sans consulter les Port-Vendrais, ont commandé de nouveaux travaux pour dérocher le socle de la presqu’île au pied de la Gare maritime et pour draguer à nouveau, sans être inquiétés par les lois protégeant les sites archéologiques sensibles, les abords de cette presqu’île. Une presqu'île que nous savons aujourd’hui, de façon scientifique et irréfutable, avoir été une île. Et même sans doute l'île fameuse et renommée du sanctuaire de Vénus.

        Sommes-nous restés, en 2019, au niveau de barbarie, en terme de non-respect des vestiges de l’Antiquité, des années 1845, 1700, 1642 ? A quoi servent donc les lois de protection de notre patrimoine historique ? Nous le saurons lorsqu’une décision politique aura été prise et signifiée au sujet du tas de  déblais entreposé sur l’aire des containeurs de la Gare maritime. Archéologues et historiens demandent qu'il soit étudié. Sur cette photo du "Tombeau de Vénus" (tas de déblais dragués en avril-mai 2019 aux abords de la presqu'île, sous la Gare maritime, ce tas étant entreposé sur l'aire portuaire) apparaissent des blocs blancs,  blocs de calcaire, certains étant taillés et donc destinés ou ayant fait partie d'un ensemble architectural, éléments d'une construction. L'environnement géologique naturel de Port-Vendres, comme le socle de la presqu'île, sont faits de schiste, brun et de schiste ferreux, brun-rouille. Ces blocs de calcaire blanc ont donc été intentionnellement apportés d'ailleurs autrefois, pour une utilisation qu'il serait peut-être instructif de rechercher. En plus de ces relevés et études sur ce matériau archéologique lithique visible à notre portée immédiate, la recherche de métaux (pièces de monnaie, armes, outils, bijoux, ...) possiblement présents dans cet énorme tas de débris divers  remonté il y a 2 ans depuis le pied nord de l'ancienne île, relève de la plus élémentaire nécessité. Une équipe est prête, à Port-Vendres, à participer à ces travaux de fouille du tas, de recherche, d'identification et de répertoriage.

      Les éléments identifiés et répertoriés s'ajouteraient aux déjà 4 000 éléments identifiés et classifiés, remontés des fonds sous-marins de Port-Vendres par l'ARESMAR depuis 30 ans et conservés dans un local municipal.   

Tombeau de Vénus

 

 

          Imaginons et espérons qu’un futur Musée Archéologique et Historique de Catalogne voie bientôt le jour dans une partie des vastes bâtiments de la Gare maritime. Souhaitons qu'il soit  possible de partager intelligemment cet espace avec les gérants des actuelles activités économiques du port !

 En nous promenant sur la place Castellane, il est émouvant de se rappeler la lointaine et riche histoire de Port-Vendres, une histoire injustement malmenée et même parfois niée, mais que les Port-Vendrais peuvent se réapproprier.

 

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Et, indifférents à ce passé gréco-romain, sur la place, Fenouil et Fenouille batifolent...

Mais aussi, près de Fenouil et de Fenouille, se retrouvent les joueurs de pétanque et flânent les promeneurs. Cette même place Castellane est bordée d'un côté par le cinéma et le Centre culturel, et de l'autre par la maison de retraite.

     L’histoire romanesque de Fenouil et Fenouille nous est ainsi transmise par Y.C. sur le site internet « Alquimia de la mari i de la muntanya » (voici le texte, purement et simplement copié-collé du site) :

 

Fenouil et Fenouille

 

Cette statue, qui est installée Place Castellane, et chère au cœur des Port-Vendrais, a connu beaucoup de vicissitudes. Celle que nous voyons aujourd’hui n’étant pas celle d’origine.
En 1845 est entrepris le creusement du port pour la réalisation de la grande darse de 300 mètres. A cette occasion, et avec les déblais du port, on va créer une grande place (la place Castellane aujourd’hui).
En 1901, pour la décorer, Jules Pams, député influent des Pyrénées Orientales, obtient du Ministre des Beaux-arts de l’époque le don à la ville de Port-Vendres d’une statue représentant un couple d’amoureux.
Cette statue en bronze, appelée “l’Idylle”, précédemment à l’Etat, avait été réalisée par le sculpteur Jean Ossaye Mombur, auvergnat d’origine..
Cette œuvre va s’intégrer rapidement dans la vie des Port-Vendrais, qui, les jours de fête organiseront des rondes de sardane tout autour.
Une légende se fait jour : “l’Idylle” rappelant la mort de deux Roméo et Juliette catalans que l’on appellera Fenouil et Fenouille.
Lui, Fenouil, est un apprenti pêcheur et elle Fenouille, est une vendeuse de poissons. Un jour Fenouil partit à la pêche et ne revint pas. Fenouille, le cœur brisé, se jettera à la mer et rejoindra son amant dans la mort.
Le 11 Novembre 1942, les forces d’occupation vont desceller la statue pour en faire des obus. A partir de là, elle va manquer profondément aux Port-Vendrais.
En l’année 1998, à la demande de la municipalité, le sculpteur Gérard Vié de Villeneuve de la Raho, va réaliser une nouvelle œuvre représentant Fenouil et Fenouille. C’est celle, posée le 24 décembre 1999, que tout le monde peut voir, de nos jours, sur la place Castellane.
Nos deux amoureux regardent à nouveau vers le large : la légende peut renaître.

 

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Commentaires
G
et n'oublions pas la Grande Nacre:<br /> <br /> https://www.frene66.org/index.php/actualites/237-grandes-nacres-du-port-de-port-vendresn-un-ecocide-parfait<br /> <br /> Archéologie, histoire et écologie!!<br /> <br /> ce site frene66.fr est plein de choses intéressantes sur l'éventuel 3ème quai à Port-Vendres, tapez le nom de la ville dans la barre de recherche si ça vous intéresse.<br /> <br /> Des mobilisations et réunions sont-elles d'actualité concernant tout ça?<br /> <br /> En tout cas un grand merci pour ces moments d'histoire sur notre ville
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A
Une vraie, forte et active mobilisation de la population pour obtenir que ces recherches soient entreprises et que la preuve soit faite que Portus Veneris était le sanctuaire de Vénus est nécessaire.
Répondre
A
Hum ! Les enjeux d'une nécessaire recherche archéologique sont bien supérieurs au seul "luxe de mieux connaître". C'est parce que certains prétendent que puisque aucun vestige de l'Antiquité ni aucune pièce archéologique ancienne n'a été trouvée et produite qu'en réalité il n'y a jamais eu d'activité à Port-Vendres du temps des Phéniciens, des Grecs et des Romains. A partir de quoi ils situent le sanctuaire de Vénus dont parlent Strabon et Pline à 900 mètres d'altitude sur une crête à 4 h de marche de Port-Vendres (mais pas à Port-Vendres). Et ils décident que le Pyrène de l'Antiquité était Collioure. Conséquences : Collioure ramasse les subventions, les promesses de recherches archéologiques, les promesses de musée, et Port-Vendres est abandonné au rôle inférieur d'annexe et d'atelier de Collioure. Concernant le parking public communal, car il en faut bien un si l'on veut garder les commerces de proximité (il ne faut pas tomber dans l'excès de la chasse aux voitures, dans le refus de la voiture !) si le parking actuel, quai Joly, est aménagé en jardin d'agrément et promenade, il faut bien trouver un endroit de parking proche du port. La place Castellane a été envisagée (avec un ascenseur) ou bien son sous-sol creusé comme un tunnel (et là, si cela se fait, on espère découvrir non pas un trésor, mais peut-être une vieille pièce de monnaie grecque, ou un bout de fer de lance ou de bouclier, ou la semelle de sandale d'un centurion, ou la boucle du ceinturon d'un vétéran, ou l'ancre d'un navire antique ( les ancres étaient en pierre avant d'être en fer !) ou un morceau de colonne ou de statue : une preuve enfin que Portus Veneris était le sanctuaire de Vénus et la frontière littorale de la Gaule dont parle Strabon, preuves qui ont toutes été détruites au cours des deux millénaires négligeant ce passé. Ce n'est pas pour demain, ces travaux, mais tu as raison : on peut déjà rêver aux nombreux visiteurs enchantés du futur musée !
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A
Avec l'histoire rendue accessible par André, merci à lui, les idées peuvent courir...<br /> <br /> J'ai pensé également que cette affaire de parking souterrain serait une occasion de gratter les dessous de la Castellane. Cela dit, ce projet de faire débouler et s'empiler des automobiles au coeur de la cité me semble une obsession d'un autre âge. Elles polluent davantage que ce pauvre bateau hebdomadaire...Le dossier recherche archéologique, ça serait juste le luxe de mieux connaître, mais une richesse supplémentaire à partager, avec les visiteurs du futur musée.
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P
Merci André pour tes infos toujours intéressantes.<br /> <br /> Tous ces déplacements de sédiments pour réaliser la place Castellane, ça fait réfléchir ! Et si on demandait au maire l'autorisation de faire des forages ponctuels pour savoir s'il n'y a pas de trésors sous la place ?
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