Casesnoves, le pic Pédros et Rodès.
Ille sur Têt. Casesnoves. Pic Pédros. Rodès.
Cette carte nous permet de visualiser la région où nous étions hier, mardi 16 mars 2021, en randonnée qui s'est avérée magnifique. Ille-sur-Têt est à 60 Km en voiture depuis notre port d'attache, Port-Vendres. Notre intention, écrite noir sur blanc sur le programme, était de parcourir 21 km à pied avec 980 m de dénivelé positif. Du sérieux ! Autant dire qu'il n'a pas été nécessaire de réfléchir longuement avant de décider si oui ou non on sortait de sous la couette. La réalité, observée au parking du retour, a été légèrement différente : nous avons parcouru 21,4 km pour 710 m de dénivelé.
Entre la région des Fenouillèdes où nous randonnions la semaine dernière et celle des Aspres que nous avions arpentée la semaine précédente, c'est la région du "Riberal" (la région des « terres fertiles », par comparaison avec les « Aspres », terres âpres, pauvres) que nous explorions cette fois-ci. Une bien petite région, très limitée en surface comme on le voit au centre de cette carte, mais riche et belle.
En déposant ses alluvions dans la plaine sur laquelle a été bâtie la ville d'Ille, le Têt a assuré la richesse agricole de cette région qui s'est couverte de vergers et de pâturages. Ce sont des vergers de pêchers, de cerisiers, qu'à cette époque de l'année nous avons vus en fleurs, le Canigou en toile de fond : quelle grande beauté !
(Ne cachons pas notre plaisir et notre fierté et même nos privilèges presque injustes : nous vivons ici dans un monde complètement différent et infiniment plus beau, respirable et agréable que celui que nous a infligé la récente 46 ème cérémonie des Césars, avec son nombrilisme, sa vulgarité, ses laideurs, ses bassesses, ses images dégoutantes. Nous apprécions combien il est préférable de randonner avec "Evasion Catalane" plutôt que de consommer de la pseudo- "culture" avariée, pourrie et viciée ! Le monde du cinéma a reçu 1 millard 200 millions d'euros d'aides publiques depuis un an, payées par les contribuables français (vous, moi) pour un tel résultat, la décadence et le mépris ! L'art de la randonnée se découvre alors plus noble, et nous le pratiquons avec conscience et plaisir, sans rien salir sur notre passage, contrairement à ces guignols subventionnés. Nous en sommes, de plus, les plus heureux acteurs ! Si vous êtes d'un avis différent, exprimez-vous ouvertement dans les commentaires de ce blog, il est ouvert pour cela !).
D'en bas, du parking, nous avons vu les falaises d'Ille-sur-Têt, composées d'une importante épaisseur de sable et d'argile que l'érosion, par la pluie et le vent, a façonnées en "cheminées de fées" depuis des millions d'années, et qui a reçu récemment le nom évocateur d'"orgues" (de tuyaux d'orgues), un site classé patrimoine naturel unique en France. Trois chevreuils, en visite sauvage au-dessus des "orgues" ont décampé en nous apercevant, mais cela a été un plaisir que de les voir gambader libres dans la nature.
Le Têt, dont la source est dans les montagnes au-dessus de Saint-Louis, est un fleuve de 115 km de long qui traverse d'Ouest en Est le département, passe à Perpignan, et se jette dans la Méditerranée au Canet-en-Roussillon. Cette embouchure au Canet ne nous est pas indifférente, à nous les Port-Vendrais, puisque le géographe et historien romain Strabon (63 avant J.C. à 25 ap. J.C.) utilise entre autres points de repères cet estuaire pour préciser en stades et milles romains sa distance d'avec le sanctuaire d'Aphrodite et la limite territoriale de la Gaule conquise. Le sanctuaire d'Aphrodite (ou de Vénus) a définitivement marqué l'origine et le destin de Port-Vendres.
Les pierres, de granite et de grès, roulés durant des millions d'années par le Têt, sont devenus des galets arrondis et polis, de toutes tailles. Ces galets ont alors été utilisés tels quels par les habitants de la région pour édifier leurs murs de maisons, de tours défensives, de murailles, d'églises, de murets, offrant une architecture décorative douce et typique.
Ille-sut-Têt était une ville frontière espagnole, durant 4 siècles, de 1258 (Traité de Corbeil) à 1659 (Traité des Pyrénées). Notre itinéraire :
Proche des ''Orgues'' d'Ille, se trouvait un village, aujourd'hui ruiné et déserté, appelé "Casesnoves" (les abris neufs, les maisons neuves). Seule son église, datant de 1050, époque pré-romane, mentionnée sur un acte en 1076, subsiste, ainsi que la tour, vigie et refuge, encore debout derrière son fossé de protection. La population du village l'a quitté au cours du 14 ème siècle (époque de la "grande peste"), et l'église, désertée, a été ensuite déclassée en chapelle. Vendue comme ''bien national'' après la Révolution de 1789, elle a été utilisée en entrepôt, jusqu'à ce que la commune l'achète en 1990 après l'avoir fait classer monument historique dès 1955. Malheureusement, en 1954, un antiquaire malhonnête, Marcel Simon, s'était empressé d'arracher des murs de magnifiques peintures datant du 12 ème siècle et de les vendre. Cet individu préférant son intérêt personnel au bien commun fut plusieurs fois condamné par la justice, mais il continua à refuser d'indiquer à qui il avait vendu ces peintures inestimables. Des fragments de ces oeuvres furent retrouvés par hasard en Suisse, exposés au Musée d'Art et d'Histoire de Genève. La fondation qui avait acquis en toute bonne foi ces merveilles ignorait que ces peintures avaient été frauduleusement arrachées de la chapelle de Casesnoves et emportées par un escroc pour être vendues et elle ignorait leur origine. Le reste des peintures murales volées en 1954 n'a pas encore été retrouvé. La chapelle, couverte de lauzes, désormais parfaitement restaurée et entretenue par la commune, est composée d'une nef unique surmontée, à l'ouest, d'un clocher dit "à peigne" avec 3 dents.
Notre Everest aura été aujourd'hui le Pic Pédrous ou Pedros, fier de ses 437m d'altitude. Un puech à ne pas confondre avec l'autre pic Pédros des Pyrénées Orientales, que l'on attaque, lui, depuis le col de Puymorens, mais qui culmine à 2.842 mètres ! Ce sera pour un autre jour... Aujourd'hui, notre environnement est un sol de granite et de grès, couvert de hauts genêts or et odorants, de buissons de cistes et de touffes de lavandin parfumé.
Depuis le sommet de notre Puig Pedros de la Riberal, dominant la plaine du Bas Conflent, la vue est à 360°. Et le Canigou, le Mont Jupiter des Romains qui nous précédaient ici, nous émerveille de sa silhouette enneigée.
Nous retrouvons sur ce sommet du pic Pédros, la soeur de la borne frontière que nous avions embaumée de nos brassées de mimosa il y a deux semaines et qui lui avait valu l'appellation amusante de "Borne-les-Mimosas". Une curiosité nous intrigue : c'est en 1258 que fut signé le Traité de Corbeil, entre Louis IX (roi de France) et Jacques 1er (roi d'Aragon) fixant la frontière à cet endroit et sur la ligne marquée par un muret que nous voyons toujours en place au travers de la montagne. Or, à la base de la borne, une date est gravée dans la pierre : 1658, soit 4 siècles plus tard !
Est-ce que, à la veille du Traité des Pyrénées, signé en 1659, des "influenceurs" espagnols sont venus ici pour signifier par cette trace gravée leur opposition à ce que la frontière soit déplacée plus au sud et à l'est, où elle se trouve aujourd'hui ? Malgré cette entreprise de gravure, laissant la date de 1658, alors que la frontière à cet endroit date de 4 siècles plus tôt, en 1258, le Traité des Pyrénées, signé en 1659, a déplacé la ligne de frontière sur les crêtes des Albères où nous la connaissons aujourd'hui, au niveau de Cerbère/Port-Bou.
En résumé : la frontière à cet endroit, marquée par une borne de près de 2 mètres de haut en forme d'obus, date de 1258 (Traité de Corbeil). La pierre au pied de la borne est gravée d'une date : 1658. C'est l'année suivante, en 1659, que le Traité des Pyrénées, signé entre Louis XIV, roi de France, et Philippe IV d'Espagne, fixe la frontière entre la France et l'Espagne à Cerbère et sur les crêtes qui la marquent aujourd'hui. Cette gravure de ''1658'' au pic Pédros, frontière décidée en 1258, est donc... bizarre !
Les Port-Vendrais (dépositaires de l'héritage des Romains, qui indiquaient que le sanctuaire de Vénus marquait "la limite littorale de la Gaule") se rappellent la ruse des négociateurs français (Mazarin et Pierre de Marca) qui réussirent en 1659 à faire admettre à leurs homologues espagnols que, puisqu'il n'y avait plus de traces du sanctuaire de Vénus à Port-Vendres, la frontière devait donc être fixée à la hauteur du cap Créus, le plus loin possible plus au sud-est (de façon à prendre à l'Espagne le plus possible de territoire)... La ruse des Français a payé sur le coup, par la signature du Traité des Pyrénées de 1659, mais les Espagnols réalisèrent bien vite qu'ils avaient été victimes d'une malhonnêteté et ils reprirent la guerre de la frontière jusqu'au 19 ème siècle et l'abandon des rivalités.
Notre descente du pic Pédros s'est faite sur un sentier bordé de genêts en fleurs et de touffes de cistes et de lavandin. Les pentes des collines sont spectaculaires : étagées en feixes que les anciens avaient obstinément montées et entretenues pour tenter de récolter leur subsistance sur ces pentes ingrates.
Cette descente nous a amenés en vue du village de Rodès, dominé par son château médiéval. C'est face à un paysage magnifique et au soleil que nous avons pique-niqué. Quel spectacle grandiose ! Le massif du Canigou sur notre droite, le village de Rodès et son château fantôme en face de nous, le vieux pont sur le Têt à nos pieds, ce fleuve Têt filant vers Perpignan et le Canet en le faisant savoir par le bruit très sonore de l'eau sur les rochers de ses berges. ''Cerise'' sur la rando : les pruneaux au cognac préparés et offerts par Chantal !
Après le pique-nique, traversée et visite du joli et bien entretenu village de Rodès. Son nom est intriguant. Immanquablement, il nous invite à faire référence à l'île de Rhodes, autrefois Etat indépendant prospère et influent, aujourd'hui rattachée à la Grèce. Le port actuel de Rosas, proche de Cadaquès, sur la Costa Brava catalane espagnole, a été fondé au 4 ème siècle avant notre ère par des colons intrépides et volontaires partis de cette île de Rhodes, à la recherche de comptoirs économiques à développer. Les noms du monastère de Sant Pere de Rodes et de la Serra de Rodes sont liés à cette île de Rhodes. Pour l'origine du nom du village de Rodès de la Ribera, il semble qu'il ne soit pas lié directement aux colons venus de l'île de Rhodes, restés sur la côte catalane, mais à des seigneurs catalans qui, par le jeu d'alliances, de mariages, d'échanges de fiefs, aient apporté ici le nom de leur autre possession catalane d'Espagne.
La commune de Rodès est située aux portes de la région naturelle du Conflent, à 6 km d'Ille-sur-Têt et à 3 km de Vinça. Au nord, la commune est limitrophe de deux communes situées dans la région naturelle du Fenouillèdes : Trévillach et Montalba-le-Château. Prades est à 10 km, Perpignan à 30 km et Céret à 40 km. Il y a 60.000 ans, donc lors d'une pré-histoire très ancienne, des humains ont vécu là : divers vestiges, ossements et pierres-outils ont été trouvés et attestent de l'attractivité et de l'ancienneté du lieu. Le château qui domine le village, et où nous sommes montés, date de l'époque carolingienne, du 11 ème siècle. Il est aujourd'hui en ruine, ses murailles se sont éventrées. Mais la vue que nous avons sur le massif du Canigou est splendide.
Après la traversée-visite du joli village, propre et coquet, c'est une longue et régulière descente le long de la rive droite du Têt, entre le lit originel du fleuve, à notre gauche, et le canal qui alimente en eau le château des rois de Majorque à Perpignan. Un canal parfois creusé et maçonné à ciel ouvert, parfois percé en tunnels : tunnels creusés à la pioche, au marteau et au burin, terrible témoignage de la vie rude et volontaire de nos anciens, si différente de celle d'aujourd'hui.
Retour aux vergers fleuris de la plaine du Riberal dominée par la masse blanche du Canigou, avant de revoir les falaises ocres sculptées en tuyaux d'orgues.
Une rando, menée par Didier, Jean-Pierre et Jean-Paul, rando qui a enchanté les 17 membres de ce groupe décidément bien veinard !